
Zèbroscopie
Comment un gentil petit animal découvrit-il un jour qu'il était un zèbre
Il y a très, très longtemps.
Du temps où les bêtes parlaient
Vivait dans la savane un gentil petit animal.
Il avait tout pour être heureux, mais il avait un problème : Les autres animaux n'étaient pas du tout sympas avec lui. Gentil petit animal avait appris tout seul à grimper aux arbres. Ce n'est pas facile quand on a quatre pattes terminées par des sabots !
Dans la cour de l'école, les autres animaux se moquaient de lui.
Girafon le traitait de sale voleur qui veut piquer de la nourriture des girafes au sommet des arbres. Bluette la mésange persiflait: «Qu'est-ce que tu vas faire si haut ? Un faux pas et tu te casses la figure ! Tandis que moi, je n'ai qu'à déployer mes jolies petites ailes. Reste sur le plancher des vaches, vilain quadrupède ».

Les autres animaux n'étaient pas du tout sympas avec lui !
Les adultes ne l'aimaient pas non plus.
Gentil petit animal avait appris tout seul à parler bulldog. Il ne l'avait pas fait exprès. Il avait écouté des podcasts sur des sujets qui l'intéressaient et cela s'était fait tout seul. On aurait pu croire que c'était un atout.
Le bulldog est une langue indispensable. Les animaux de tous les pays quand ils veulent communiquer le font en bulldog. La littérature scientifique est publiée en bulldog.
Mais pour gentil petit animal ça avait vite tourné au cauchemar. A l'école, la professeure de bulldog l'avait pris en grippe, parce qu'il avait un meilleur accent qu'elle et qu'il parlait couramment.
Elle l'avait relégué tout au fond de la classe et il s'ennuyait à mourir en écoutant croco, lionceau et poney marmonner trois mots avec leur accent de la savane. Ça ne ressemblait pas du tout au bulldog comme on le parle à Dogland.
Faisaient-ils exprès, étaient-ils sourds, ou étaient-ils bouchés à ce point ?
Fallait-il faire faire semblant d'être bête comme eux pour avoir des copains ? Pour plaire aux adultes ?
A la maison, cela n'allait pas très fort non plus. Gentil petit animal n'était pas très soigneux. Il était incapable de ranger ses affaires. Périodiquement, sa maman le grondait : « Ta chambre ressemble à une écurie ». Une fois il avait essayé de lui répondre que c'était normal que la chambre d'un quadrupède ressemble à une écurie. Maman avait secoué sa crinière et frappé du sabot par terre si fort, qu'il n'avait jamais recommencé.
Même avec sa jolie cousine qui portait de si jolies tresses et qui se vernissait les sabots en rouge ça n'allait pas. Il était secrètement amoureux mais, elle n'avait d'yeux que pour un athlétique pur-sang, bête à manger du foin.
À force de ne côtoyer que des gens incompréhensibles, gentil petit animal devint solitaire, agressif, à la limite méchant.
Ses parents qui l'aimaient beaucoup se résolurent à consulter pour lui un vétérinaire comportementaliste : Une jeune chimpanzée vêtue d'une blouse blanche qui passait son temps à sourire et s'exprimait en employant des mots incompréhensibles comme « neuro atypique » ou des sigles abscons comme TDA/H.

Une jeune chimpanzée vêtue d'une blouse blanche qui passait son temps à sourire.
Elle lui fit faire mille tests, certains très marrants. Elle parla longuement avec lui, elle était sympa.
Enfin quelqu'un de normal pensa gentil petit animal.
A la fin, la chimpanzée déclara : « Monsieur et Madame, j'ai le regret de vous annoncer que votre fils est un « ZÈBRE ». Tout ce qui lui arrive est normal. Les zèbres ne sont pas comme les autres animaux. Il est normal que vous ne compreniez pas votre fils, il est normal que ses professeurs ne le comprennent pas et je serais étonnée qu'il y ait beaucoup de camarades avec qui il s'entende.
Maman accusa le coup. «Mais pourquoi mon fils est-il comme ça ? S'écria-t-elle. Dans ma famille de mon côté, nous sommes tous des gens normaux. Ça doit venir de ton côté, Alphonse».
Le papa vexé, assura que ses parents à lui étaient aussi des gens normaux.
La chimpanzée sourit : « Ce n'est de votre faute ni à vous Monsieur ni à vous Madame. C'est le hasard. Ce qu'il faut c'est l'envoyer dans une école pour zèbre. Là, il sera avec des gens comme lui et ça devrait aller mieux ».
Rentré chez lui, gentil petit animal s'enferma dans sa chambre pour réfléchir. Il ne se sentait pas zèbre du tout. Mais puisque cette gentille vétérinaire comportementaliste l'avait dit, ça devait donc être vrai.

Petit animal s'enferma dans sa chambre pour réfléchir.
Mais alors, la cause de tout son mal-être ne venait pas des autres, mais de lui.
Il s'endormit sur cette pensée troublante : Je suis différent des autres. Est-ce que je pourrais essayer de devenir « normal » est-ce que j'en ai envie ?
Si vous êtes bien sages et si vous vous abonnez à la Newsletter de LaVoixDesAtypiques vous y découvrirez la semaine prochaine la suite de cette histoire : Gentil petit animal à l'Ecole des Zèbres.
Bertrand Krebs